"Comment tu le sais ?"
Je le sais. Et toi aussi, tu sais qui l'a fait. "Je l'ai dit", pense Inès. Cela fait des semaines qu'on se tait, des semaines qu'on tourne autour du pot, qu'on esquive la vérité et qu'on change de thème. Cette fois elle l'a dit et elle attend l'éruption. Mais curieusement elle ne vient pas".
Je suis fidèle à l'auteur depuis "L'eau rouge" et je me demandais si cette nouvelle parution allait être à la hauteur des précédentes. La réponse est oui, sans réserve.
L'histoire commence comme un polar et se joue principalement entre trois personnes, un policier, une mère, une fille. Nous savons très vite qui est le meurtrier, mais il reste hors champ et énigmatique. Ce n'est pas le sujet majeur du roman.
Ce qui intéresse l'auteur ici, ce sont les conséquences d'un meurtre sur les proches, de quelle manière une famille et un entourage sont impactés pour toujours.
Nous sommes à Split, ville de Croatie, à la fin de la période touristique où elle se vide brutalement et montre un aspect terne et sans vie. Tout ferme jusqu'à la prochaine saison.
C'est dans ce contexte qu'une jeune fille de dix-sept ans est retrouvée, tuée dans une usine désaffectée, vestige de l'époque communiste. L'enquête est confiée à Zvone, un jeune policier qui s'évertuera à découvrir la vérité, en dépit des obstacles. Zvone n'a pas une vie très gaie, il s'occupe de son "père-enfant", chez qui il habite, un homme amorphe qui ne s'est pas remis de la guerre en ex-Yougoslavie.
Ailleurs en ville, une famille va vite comprendre que le fils de la maison, Mario est mêlé à ce meurtre. Il s'agit d'Inès, la fille, qui travaille dans un hôtel touristique et de sa mère, Katja, la "Mater Dolorosa", qui trouve du réconfort en allant prier à l'église où elle est pourtant assez mal considérée.
A partir de là va se dérouler une partie serrée, aux enjeux cruciaux, entre rester fidèle à la famille ou choisir la justice. L'auteur excelle à entrer dans la psychologie de chaque personnage et décortiquer les relations intrafamiliales, faites essentiellement de non-dits.
Comme d'habitude chez l'auteur, l'arrière-fond politique et social est présent, avec la rupture de la guerre dont personne n'est vraiment remis. Les traumatismes sont là, les rancoeurs aussi, certains s'en sont très bien sortis.
Je me suis vite attachée au personnage d'Inès qui se débat entre culpabilité, colère, dégoût, envie que la vérité éclate, que son frère soit mis hors d'état de nuire et peur d'être celle qui va risquer de détruire la famille.
Katja, la mère, est une femme farouche, têtue, assez redoutable en fait et menant tout le monde là où elle veut. Ce n'est pas la première fois qu'un personnage de vieille femme se montre intraitable et écrasant chez l'auteur. Le poids des traditions ?
Le rythme du roman est lent et va en profondeur, faisant le tour de toutes les possibilités avec finesse. Le dénouement va-t'il être satisfaisant ? La morale sera-t'elle sauve ?
Je vous laisse le découvrir si vous en avez envie. De mon côté, je vais attendre le prochain roman avec impatience.
Sur le blog : La femme du deuxième étage - Le collectionneur de serpents
L'avis d'Alex
Pavičić Jurica - Mater Dolorosa - 416 pages
Traduit du croate par Olivier Lannuzel
Agullo Noir - 2024