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  • Requiem

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    "Et si j'écrivais une cantate du café, comme Bach ?" me dis-je un instant, avant de repousser l'idée. Je suis adepte du petit format en musique, bien que j'aie essayé l'autre. Satie est mon phare. Quand je pense à lui, c'est comme si une ampoule s'allumait - et en un tournemain s'éveille l'idée d'un petit air pour violon et boîte de café. La boîte devra être vide, je le préciserai dans la description, et la cuillère qui frappera en mesure son couvercle sera en argent. J'écris sur la feuille au-dessus des notes : le café sera de préférence du Maxwell House".

    Troisième volet d'un triptyque sur la solitude et la création, j'ai retrouvé avec plaisir la plume de l'auteur dans cette histoire consacrée cette fois-ci à la musique.

    Le narrateur, Jónas l'entend partout la musique, dans tous les bruits du quotidien, qu'il écoute attentivement, du crépitement d'un feu au sifflement de la bouilloire. Il s'empresse de les transcrire dans son petit carnet en moleskine. Il a quitté Reykjavík où il n'arrivait plus à composer pour la maison d'un ami dans un fjord de l'est de l'Islande.

    Nous saurons peu de choses sur Jónas. Il a un travail alimentaire dans la publicité, qu'il néglige de plus en plus. Il est question d'une femme Anna, avec qui il est au bord de la rupture. Un enfant est évoqué également, on devine un drame, sans aller plus loin.

    Jónas ne cherche pas la compagnie, la solitude lui convient bien. Il va à l'épicerie du village, se promène, passe beaucoup de temps à ne rien faire, les yeux au plafond, attentif surtout aux bruits qu'il perçoit. Son quotidien est perturbé par la perte de son précieux carnet. C'est la certitude que toutes ses notes ne seront jamais jouées.

    Tout cela doit donner un roman assez banal me direz-vous. Et bien pas du tout, au contraire. Il y a l'écriture, la narration, un charme qui court tout au long du livre, une certaine originalité aussi dans la manière d'appréhender l'existence. Le ton est parfois d'une discrète ironie. Jónas est attachant, dans son impossibilité à parler de ce qui compte vraiment. Il sait qu'il devrait, surtout avec Anna, mais il n'y arrive pas.

    Je termine par plusieurs extraits, qui montrent mieux que je ne saurais le faire, l'univers de l'auteur.

    "Je ne pratique pas les bains de soleil, suis habillé de pied en cap et porte un chapeau de paille jaune que j'ai trouvé dans le vestibule. Hier, je me suis procuré des lunettes de soleil force 3, pour pouvoir lire et écrire dans la lumière. J'ai acheté les lunettes dans une sorte de magasin général en bas du village, juste au-dessus de la jetée. Le patron a l'air d'avoir raté les temps modernes, comme si ceux-ci étaient un long rapide qui serait passé en trombe devant lui alors qu'il était là, les mains dans les poches, à côté de sa vieille valise en carton peint".

    "Je suis la camionnette des yeux, vois la bâche bouger, et ce qui est dessous tressaute sur la route de terre bosselée. Il fait sûrement plus froid ici qu'à Salzbourg, mais tout bien considéré, ici est sans doute un meilleur endroit, si l'on en croit les lettres de Mozart sur cette ville. Je me souviens qu'après avoir lu ses lettres à son père, sur la ville qu'il détestait plus que tout autre lieu, j'avais décidé de ne jamais y mettre les pieds. Maintenant, je connais un homme qui est allé à Salzbourg et dont le voyage n'a pas eu de bon résultat, ce qui fait que je m'y rendrai encore moins à l'avenir".

    "Mais voilà que m'arrive tout-à-coup quelques notes portées par la brise et les vagues. Je me hâte de rentrer m'asseoir dans la voiture, attrape le calepin que je pose sur le volant avant de me mettre à écrire, tandis que l'eau dégouline de mon imper sur le siège. C'est la première entrée consistante à voir le jour dans ce carnet".

    "Je suis couché et j'écoute, sans rien faire d'autre. Au bout d'un certain temps, après avoir éventuellement écouté toute une oeuvre de Bach ou de Haendel, le courage et l'énergie de me remettre sur pied et de continuer me reviennent peu à peu. Comment ceci se produit est pour moi une énigme, mais cela semble être un fait."

    "Une fois rentré dans la maison, j'appelle Anna au téléphone avant de ranger les provisions dans le frigo. Elle dormait et elle est peu loquace tandis que j'essaie de lui faire part de ce qui m'est venu à l'esprit auparavant, et je lui demande à nouveau si elle aurait éventuellement l'intention de venir. Elle dit qu'elle va y réfléchir, mais qu'il y a plus de travail à faire que jamais. Je sais que son patron s'intéresse beaucoup à elle, et sans doute pas seulement sur le plan professionnel - mais je ne dis rien."

    Je conseille les trois romans (ils se lisent séparément) aussi bons les uns que les autres, ici et .

    L'avis de Cathulu

    Gyrdir Elíasson - Requiem - 184 pages
    Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
    La Peuplade - 2022